Le septième souffle

Le septième souffle

Tu es arrivé un 8 janvier
Alors qu’on t’attendait mi-février
Maman riait autour d’un jeu de société
Moi je pianotais distrait sur mon clavier

 

Depuis la veille
elle portait des vagues de douleur
Puis elle s’est levée
La crue a déferlé
rouge comme une marée impromptue
on a compris trop tôt
que le barrage de nos certitudes s’était rompu

 

À l’hôpital
au milieu des fièvres et des silences
le virus rôdait encore
les visages noyés derrière les masques
La docteure nous a soufflé
« Ça va bien aller
on doit juste vérifier »

 

Soulagé le temps d’un instant
angoisse cachée derrière mon côté troubadour
mince lumière dans le gris du jour
Les veilleuses auréolées m’ont encore violé le fond du nez
et blanc vêtu
j’ai rejoint ta maman
dans l’arène césarienne

 

À peine arrivé près d’elle allongée
j’ai vu tes beaux p’tits pieds
Je me suis écrié le cœur chaviré
mais le regard du docteur m’a transpercé
me ramenant à la dure réalité
on s’acharnait déjà
à ranimer ton souffle brisé

 

Et ta mère avait frôlé l’au-delà
Flaque écarlate rampant encore à ses pas
D’un visage gris elle m’a demandé
« Est-ce qu’il va bien mon bébé »
Au rythme du massage acharné
qui t’était donné
je lui ai un peu menti
« Oui oui il va bien le petit »

 

Finalement après un court moment
des siècles condensés dans un instant
tu m’as sauvé
De mon mensonge éhonté
tu as commencé à respirer
pendant que maman sombrait sans parler

 

L’hôpital désarmé
sous le poids de la gravité
ils t’ont transféré
vers cet horizon éloigné
au royaume des souffles troublés

 

Passager du Nautilus des abîmes pulmonaires
tu as entamé ta première épopée
Pendant que je laissais maman
incapable de bouger
je t’ai devancé le cœur brisé
au rivage de ta destinée

 

Des heures plus tard
aux allures d’éternité
ton souffle affranchi de ses poumons prêtés
j’ai enfin pu te serrer
et laisser mes larmes couler

 

Le surlendemain
ta mère vacillante mais triomphante de l’ombre
portée de mes pas
jusqu’à toi
où les sources de vos regards se sont entremêlées

 

Depuis on t’admire grandir
Ton arrivée digne d’un raz-de-marée
s’est apaisée dans notre continuité
Tu respires la vie
et ton souffle a scellé
cette famille dont j’avais tant rêvé

 

- Le p'tit père

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